Les viticulteurs bordelais font face au changement climatique avec l'irrigation, les nouveaux raisins et des traditions en mutation

18-09-2025

Les producteurs et les chercheurs mettent en balance la tradition et l'innovation alors que des conditions météorologiques extrêmes imposent des changements dans les variétés de raisin, l'irrigation et l'étiquetage du vin.

Dans la région de Bordeaux, les viticulteurs et les chercheurs sont confrontés à une période de changements rapides, car les conditions climatiques ne cessent de se modifier. Cette année, les vendanges ont commencé plus tôt que d'habitude, certains domaines ayant commencé dès le 17 août. Malgré les fortes chaleurs et la sécheresse qui ont touché la région, certains producteurs s'attendent à un millésime exceptionnel. Au Château Lafleur, à Pomerol, le propriétaire Baptiste Guinaudeau a pris la décision controversée d'irriguer sa parcelle la plus prestigieuse. Les règles strictes de l'appellation Pomerol interdisent généralement l'irrigation, sauf en cas d'urgence et dans des quantités limitées. En choisissant d'irriguer, le vin de Guinaudeau a perdu son droit à porter le nom de Pomerol.

M. Guinaudeau affirme que les règles traditionnelles sont dépassées. Il souligne que ces règles ont été créées à l'époque où l'irrigation était utilisée pour augmenter les rendements au détriment de l'identité du terroir. Aujourd'hui, dit-il, le changement climatique menace le caractère même des vins de Bordeaux. Après quinze années de sécheresse, il s'est senti obligé d'agir pour préserver la qualité, quitte à sortir des limites de l'appellation.

L'utilisation de l'eau pour l'irrigation soulève des questions sur le partage des ressources, d'autant plus que l'eau est prélevée dans des bassins de débordement ou des puits profonds. Les chercheurs de l'INRAE, l'Institut national de la recherche agronomique, pensent que la vigne elle-même offre une solution. Ils décrivent la vigne comme une "plante miracle" capable de produire un vin de grande qualité avec un minimum d'eau. Depuis plus d'une décennie, les scientifiques développent de nouveaux porte-greffes capables de résister à la fois à la sécheresse et à l'humidité excessive, deux conditions extrêmes de plus en plus fréquentes en raison du changement climatique.

Elisa Marguerit, chercheuse à l'Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux, explique que si certains porte-greffes permettent déjà à la vigne de survivre aux périodes de sécheresse, des options plus polyvalentes sont nécessaires. Ces nouveaux porte-greffes ne seront pas commercialisés avant plusieurs années. En attendant, la nature semble s'adapter d'elle-même. Des expériences menées au cours des quatorze dernières années ont montré que le Merlot - un cépage classique du Bordelais - a fait preuve d'une étonnante résistance aux récentes vagues de chaleur et de sécheresse.

Tandis que les chercheurs travaillent sur des solutions à long terme, certains viticulteurs se tournent vers de nouveaux cépages capables de mieux résister aux maladies et aux conditions climatiques extrêmes. À Civrac-de-Blaye, une coopérative récolte le souvignier gris la nuit pour éviter la chaleur de la journée. Ce cépage hybride est issu d'un croisement entre un cépage blanc allemand et le cabernet sauvignon. Il résiste aux maladies fongiques comme le mildiou et l'oïdium, qui sont devenues plus fréquentes avec le changement climatique. Les viticulteurs peuvent ainsi réduire jusqu'à six fois les traitements chimiques par rapport aux variétés traditionnelles.

Thierry Bergeon cultive quatre hectares de souvignier gris et note que ses feuilles et peaux plus épaisses protègent également contre certains insectes et les grêles modérées. Ce cépage est également connu pour sa résistance au froid. Damien Malejacq, directeur marketing de Tutiac, une grande coopérative représentant 400 producteurs, affirme que l'adaptation des vignobles est essentielle à mesure que les événements climatiques extrêmes deviennent plus fréquents.

Tutiac a commencé à tester 14 cépages résistants en 2014 en partenariat avec l'INRAE et les autorités agricoles locales. Après plusieurs années de micro-vinifications et de dégustations à l'aveugle, ils ont sélectionné le souvignier gris pour les vins blancs et le vidoc pour les vins rouges comme leurs meilleurs choix pour une plantation à plus grande échelle. Le Soreli a été ajouté plus tard pour la production de vins blancs. Aujourd'hui, 34 hectares sont plantés avec ces variétés résistantes.

Pour commercialiser les vins issus de ces nouveaux cépages, Tutiac a choisi d'utiliser l'Indication Géographique Protégée (IGP) Atlantique au lieu de l'AOC Bordeaux, plus stricte. L'AOC limite les variétés résistantes à 5 % de la superficie du vignoble et à 10 % de l'assemblage, ce qui est trop restrictif pour ceux qui souhaitent mettre en valeur les qualités de ces raisins directement auprès des consommateurs.

Malejacq pense que cette approche permettra d'attirer de nouveaux consommateurs de vin qui pourraient être à la recherche de saveurs différentes ou d'options plus durables. Thierry Bergeon reconnaît qu'il existe un marché pour ces vins parmi les consommateurs plus jeunes ou moins traditionnels.

Michel-Éric Jacquin, président des appellations Bordeaux et Bordeaux Supérieur - qui représentent la moitié de la production totale de Bordeaux - est favorable à l'idée de donner plus de flexibilité aux viticulteurs en passant du statut d'AOC à celui d'IGP pour certains vins. Il affirme que les nouveaux cépages offrent des saveurs fraîches qui pourraient séduire les consommateurs qui se sont détournés des vins rouges traditionnels.

D'autres coopératives de la région suivent des voies similaires. Berticot-Graman, dans le Lot-et-Garonne, expérimente depuis 2016 des cépages hybrides comme le vidoc, le floréal, le marselan et l'arinarnoa. Ces efforts alimentent leur propre gamme IGP Atlantique.

Alors que le changement climatique continue de remettre en question les pratiques établies dans les vignobles bordelais, la tradition et l'innovation façonnent la manière dont les viticulteurs réagissent - parfois en faisant confiance à la résilience de la nature et parfois en adoptant de nouvelles technologies ou des cépages qui ne respectent pas les règles établies de longue date. L'avenir du vin de Bordeaux pourrait dépendre de la rapidité avec laquelle les vignes et les réglementations s'adapteront à un monde en mutation.