Les viticulteurs bordelais sont aux prises avec une offre excédentaire et une chute des prix qui menacent la stabilité du secteur

22-09-2025

Les producteurs sont confrontés à des stocks croissants, à des pertes financières et à des réformes bloquées dans un contexte de baisse de la demande et d'incertitude quant aux perspectives de reprise.

Dans la région de Bordeaux, de nombreux viticulteurs sont confrontés à une crise qui menace leurs moyens de subsistance et l'avenir de l'industrie viticole locale. Denis Roux, 55 ans, viticulteur à Fronsac, à l'est de Bordeaux, exploite les dix hectares de vignes de sa famille depuis des décennies. Après une année 2024 difficile, il explique qu'il a été contraint de vendre son vin à des prix défiant toute concurrence, parfois jusqu'à un euro par bouteille, frais d'embouteillage compris. Ce prix est bien inférieur à son coût de production de 1 500 euros par baril, qu'il qualifie de "catastrophe". M. Roux explique qu'il a dû vendre ses stocks pour rester à flot et qu'il ne voit plus guère d'espoir pour le secteur.

Les problèmes de Bordeaux reflètent des tendances plus générales dans les régions viticoles françaises. La consommation de vin a diminué ces dernières années, tant au niveau national qu'à l'étranger. Les marchés d'exportation sont devenus plus difficiles, ce qui a entraîné une surproduction et une augmentation des stocks. M. Roux indique qu'il a encore 700 hectolitres de vin invendu dans sa cave, soit l'équivalent de deux ans et demi de production. Bastien Mercier, porte-parole du collectif de producteurs Viti33 à Camiran, affirme que sa propre cave est pleine de 4 500 hectolitres et qu'il n'a rien vendu depuis janvier.

Selon le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), les stocks à la fin de l'année 2024 représentaient environ 18 mois de ventes, y compris les réserves obligatoires pour certaines appellations. Le CIVB reconnaît que ce chiffre augmente avec le ralentissement du marché. La société Dartess, spécialisée dans la logistique du vin, prévoit d'augmenter sa capacité de stockage de vins en bouteille jusqu'à 15 % d'ici 2026. L'entreprise se prépare à un afflux d'invendus du millésime 2024 après des premières ventes décevantes.

Laurent Rousseau, vice-président du conseil des prud'hommes de Libourne et lui-même viticulteur près de Saint-Emilion, confirme que de nombreuses caves sont pleines et que de plus en plus d'exploitations viticoles sont menacées de faillite. Il craint un effondrement des prix, car de grandes quantités de vin bon marché inondent le marché.

Les efforts visant à stabiliser les prix sont au point mort. Une nouvelle loi visant à garantir des prix équitables aux agriculteurs est bloquée au Parlement depuis plus d'un an. Les projets d'organisation des producteurs de Bordeaux visant à renforcer le pouvoir de négociation des viticulteurs ne se sont pas encore concrétisés. Malgré deux vagues d'arrachage de vignes subventionnées par l'État, qui ont réduit la superficie du vignoble bordelais de 103 000 hectares à moins de 90 000 hectares, la capacité de production de la région reste supérieure à ce qu'elle peut vendre.

Jean-Samuel Eynard, président de la chambre d'agriculture locale et viticulteur à Bourg-sur-Gironde, déclare que les viticulteurs sont "complètement désillusionnés" car les prix restent bien inférieurs aux coûts de production. Il estime que les prix de vente actuels ne couvrent que la moitié du coût de production du vin. Certains vins invendus sont stockés dans des cuves depuis des années et se détériorent.

Il y a un certain espoir que le millésime 2025 puisse apporter un soulagement. Selon les premières estimations du ministère de l'agriculture, la récolte de cette année sera moins importante en raison de la sécheresse (environ 3,6 millions d'hectolitres, comme l'année dernière), mais elle pourrait être de meilleure qualité selon le CIVB. M. Eynard espère que cela enverra un signal positif aux acheteurs et ravivera l'intérêt des négociants et des importateurs.

Michel-Eric Jacquin, nouvellement élu président des appellations Bordeaux et Bordeaux Supérieur - qui représentent la moitié de la production de la région - affirme que les viticulteurs doivent s'adapter s'ils veulent survivre. Il suggère de transférer une partie de la production des règles strictes de l'AOC (Appellation d'Origine Contrôlée) vers les vins IGP (Indication Géographique Protégée), qui permettent une plus grande flexibilité des cépages et des styles mieux adaptés à l'évolution des goûts des consommateurs.

Pour l'instant, de nombreux viticulteurs bordelais affirment qu'ils sont à court d'options, dans l'attente de conditions de marché ou de changements de politique qui pourraient les aider à se remettre d'une des périodes les plus difficiles de ces dernières années.