Les viticulteurs bordelais protestent : 80 à 90 % des dégustations de la Cité du Vin restent locales malgré l'événement ukrainien

18-12-2025

Dans un contexte de crise économique, la promotion des vins étrangers suscite des tensions, les viticulteurs réclamant davantage d'aide et de protection pour les vignobles français.

Une manifestation a eu lieu jeudi soir devant la Cité du Vin à Bordeaux, où de jeunes viticulteurs de la Gironde ont exprimé leur colère à propos d'une dégustation prévue de vins ukrainiens. La manifestation, organisée par les Jeunes Agriculteurs de Gironde (JA33), a été annoncée comme un "enterrement symbolique de l'agriculture française". Elle a été programmée pour coïncider avec des manifestations agricoles plus importantes à Bruxelles et dans toute la France, visant à la fois l'accord commercial Mercosur de l'Union européenne et la gestion d'une récente épidémie de dermatose nodulaire contagieuse.

Cette manifestation fait suite à une action similaire menée la semaine dernière, lorsque des membres de la Coordination Rurale de Gironde (CR33) ont déversé des déchets agricoles devant la Cité du Vin. Les deux groupes affirment que la promotion des vins étrangers à Bordeaux est insensible à un moment où les viticulteurs locaux sont confrontés à de graves difficultés économiques. Ils pointent du doigt la chute des prix, le soutien insuffisant du gouvernement et ce qu'ils considèrent comme un plan de crise inadéquat. Le gouvernement français a alloué 130 millions d'euros à l'arrachage définitif des vignes, mais les viticulteurs estiment que ce n'est pas suffisant. Un fonds de distillation de crise distinct est toujours en discussion à Bruxelles, les viticulteurs réclamant le double du montant actuellement proposé.

Dans leur déclaration, les JA33 ont critiqué ce qu'ils appellent "la promotion des vins ukrainiens sur un territoire en crise profonde", la décrivant comme "une véritable insulte à la violence subie par les viticulteurs girondins". Ils estiment que les mesures d'aide actuelles sont trop modestes et que les dirigeants nationaux n'ont pas pris la mesure de l'ampleur de la crise.

Toutes les voix dans le secteur du vin de Bordeaux ne soutiennent pas le ciblage de la Cité du Vin. Lors d'une récente réunion du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), le président Bernard Farges s'est adressé aux représentants de la CR33 qui avaient organisé une nouvelle manifestation. M. Farges leur a rappelé que la Cité du vin attire 400 000 visiteurs par an et qu'elle n'a jamais été conçue pour se concentrer uniquement sur les vins de Bordeaux. Il a expliqué que sa structure juridique et financière l'oblige à présenter des vins du monde entier, mais que 80 à 90 % de sa programmation et de ses dégustations sont consacrés aux vins de Bordeaux.

M. Farges a également défendu la décision d'organiser une dégustation de vins ukrainiens, notant que "nous pourrions au moins faire preuve de sympathie à l'égard de l'Ukraine en ce moment". Il a fait valoir que refuser de présenter les vins d'autres pays nuirait aux efforts visant à promouvoir la culture du vin de manière plus générale, un objectif qui, en fin de compte, profite également à la région de Bordeaux.

Jean-Marie Garde, président de la Fédération des grands vins de Bourgogne, s'est fait l'écho de ce point de vue. Il a souligné que les musées du vin en Bourgogne ont connu des difficultés parce qu'ils se concentrent exclusivement sur les produits locaux, alors que la volonté de Bordeaux de présenter des vins mondiaux a rendu sa Cité du vin plus attrayante pour les touristes.

La Cité du vin est gérée par une fondation qui se consacre au partage de la culture mondiale du vin. Dans une déclaration fournie à Vitisphere, l'institution souligne sa mission de "défendre, promouvoir, partager et transmettre le patrimoine universel et vivant du vin". Elle se décrit comme unique parmi les musées du vin du monde entier car elle ne se limite pas aux vins locaux.

Malgré cette ouverture internationale, les vins de Bordeaux restent au cœur des activités de la Cité du Vin. L'institution indique que deux sections de son exposition permanente sont entièrement consacrées à Bordeaux et à ses vignobles. Plus de la moitié des vins dégustés lors des événements sont des vins de Bordeaux, soit environ 25 000 bouteilles par an, et chaque atelier de dégustation comprend au moins un vin local. Un atelier spécial consacré exclusivement au terroir bordelais est organisé plus de 250 fois par an. Pour son dixième anniversaire l'année prochaine, une expérience de dégustation immersive sera entièrement consacrée à Bordeaux.

Le débat met en lumière les tensions qui existent au sein de l'industrie viticole française, confrontée à des défis économiques et à une concurrence étrangère de plus en plus forte. Alors que certains viticulteurs considèrent les dégustations internationales comme une menace ou un affront en ces temps difficiles, d'autres estiment que l'ouverture est essentielle pour maintenir le statut de Bordeaux en tant que point de référence mondial pour l'œnotourisme et la culture du vin.