Les viticulteurs du sud de la France perdent jusqu'à 60 % de leurs récoltes alors que l'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre devient une bouée de sauvetage

03-12-2025

Les achats d'urgence de raisin, autrefois rares, sont aujourd'hui monnaie courante alors que des conditions météorologiques extrêmes dévastent les vignobles et redessinent l'avenir de l'industrie vinicole.

Dans les régions viticoles du sud de la France, un nombre croissant de vignerons se tournent vers une pratique connue sous le nom de "commerce climatique" pour faire face aux effets des conditions météorologiques extrêmes. Ce système, réglementé depuis 2017, permet aux producteurs qui ont perdu une partie importante de leur récolte en raison d'événements climatiques défavorables d'acheter du raisin ou du moût à d'autres producteurs, même s'ils n'ont pas le statut officiel de négociant. La mesure est conçue comme une réponse d'urgence, mais elle devient de plus en plus courante à mesure que le changement climatique entraîne des défis plus fréquents et plus graves pour les vignobles.

La règle a été établie par un décret le 4 août 2017. Elle stipule que lorsqu'un événement climatique entraîne une perte de récolte significative, le préfet local peut autoriser les producteurs concernés à acheter des raisins ou du moût. La quantité achetée ne peut excéder 80 % de la production moyenne des cinq années précédentes. Les pertes causées par le feu ou le mildiou sont exclues de cette disposition.

Catherine Richer, déléguée régionale de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), explique qu'en Occitanie, il est désormais plus fréquent d'avoir des années avec ces exemptions que sans. Pour la seule année 2025, le système a été utilisé quatre fois dans cette région. Elle explique que si la mesure est généralement limitée à quelques villes, elle peut être étendue à tout un département en cas de catastrophe naturelle, comme cela s'est produit dans l'Aude cette année.

Jean-Marie Fabre, président de l'association des vignerons indépendants et producteur à Fitou, a lui-même utilisé le système après avoir perdu une grande partie de sa récolte à cause de la sécheresse. Il décrit à quel point les pertes sont devenues imprévisibles : "Chaque année, nous perdons en moyenne entre 15 et 25 %. Mais cela ne reflète pas la réalité. Certains producteurs ne perdent rien alors que leurs voisins perdent tout." Dans son cas, il a perdu 35 % de sa production en 2023 et 60 % en 2025. Il craint de ne plus avoir de vin à vendre et de perdre définitivement des clients.

Le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre a été mis en place après que de violentes tempêtes de grêle en 2014 et 2016 ont montré que le changement climatique n'était plus seulement une préoccupation future. Le processus implique que les équipes de crise des agences gouvernementales et des groupes industriels travaillent ensemble pour réagir rapidement en cas de besoin.

Si le système permet de maintenir les volumes de production à court terme, il ne compense pas totalement les pertes de récoltes, surtout si elles se répètent. M. Fabre souligne que l'achat de raisins à court terme nécessite des liquidités et des contacts. Certains viticulteurs ont également du mal à vendre des vins issus de raisins achetés parce qu'ils diffèrent de leur style habituel. Une productrice du sud-ouest de la France a déclaré qu'elle avait essayé une fois, mais qu'elle ne recommencerait pas pour cette raison.

Malgré ces difficultés, la demande pour le système est élevée chaque fois qu'il y a un événement climatique. Cependant, M. Richer note que l'utilisation réelle est souvent inférieure aux demandes initiales, surtout si les producteurs ont encore des stocks invendus des années précédentes.

Ce qui n'était au départ qu'une mesure exceptionnelle s'inscrit désormais dans la stratégie à long terme de certaines entreprises. Des places de marché informelles pour le raisin apparaissent dans plusieurs régions. Richer et Fabre ont tous deux constaté que de plus en plus d'entreprises adoptent régulièrement cette approche, même si les chiffres exacts sont difficiles à déterminer.

Cette tendance a suscité un débat au sein de l'industrie sur la question de savoir si le commerce climatique est une adaptation nécessaire ou s'il crée une concurrence déloyale pour les producteurs traditionnels. Muriel Zoldan, coorganisatrice de la foire aux vins Contrastes à Toulouse, explique que son équipe a débattu de la question de savoir s'il fallait autoriser les vins issus de ce système lors de leur manifestation. Elle a finalement décidé de les autoriser s'ils étaient produits dans le cadre des règles officielles d'échange de droits d'émission, mais pas pour les vins de négoce ordinaires.

M. Fabre estime que les mesures d'urgence telles que l'échange de droits d'émission ou l'aide financière après les pertes ne suffisent plus. Il appelle à un soutien accru pour aider les producteurs à protéger leurs cultures à l'aide d'outils tels que les filets anti-grêle, les systèmes de protection contre le gel et l'irrigation. "Même si nous ne pouvons pas tout protéger, dit-il, perdre 10 % n'est pas la même chose que perdre 40 %.

Alors que les conditions météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquentes dans les vignobles français, de nombreux viticulteurs se voient contraints de jouer un nouveau rôle, à la fois comme producteurs et comme négociants, une adaptation qui résulte moins d'un choix que d'une nécessité.